

Un photographe. Trois skieurs. Une vision artistique.
Painting the Mountains rend hommage à l’un des massifs montagneux les plus imprévisibles au monde — le Fitz Roy, en Patagonie Argentine — et à la communauté passionnée de skieurs qu'elle inspire. À travers l'objectif de Matthew Tufts, journaliste et photographe, on suit les skieurs français Aurélien Lardy, Vivian Bruchez et Jules Socié alors qu’ils affrontent les pentes les plus raides au monde.
Comment ces skieurs ont-ils un jour osé rêver de skier ces pentes ? Comment gèrent-ils le stress d’une pratique aussi intense ? Pour comprendre l’état d’esprit de ces athlètes de haut niveau, on est retourné dans le passé, explorant leurs premiers souvenirs sur des skis avec eux.
C'est tout jeune que Jules et Aurélien commencent le ski. Le père de Jules est moniteur à l'ESF et l'initie rapidement à la glisse, celui d'Aurélien est militaire et est muté à Chamonix, il n’en fallait pas moins. Les deux intègrent rapidement le pôle espoir, puis la FIS où ils "se tirent mutuellement la bourre".
"Le ski, c'est ma passion numéro 1 aujourd'hui, et pourtant c'est ma vie qui m'a choisi, pas moi qui ai choisi ma vie" Aurélien Lardy
A 18 ans, Jules envoie balader les piquets de slalom et commence le freeride autour de chez lui, à Flaine. Son premier souvenir de pente raide remonte à ses 19 ans, quand son père l'emmène sur le Glacier d'Argentière. "C'est là où j'ai découvert la haute montagne, l'alpinisme et la pente raide. Ça a tout de suite matché et j'ai tout de suite kiffé ça. J’ai eu la volonté d’expérimenter ça tout seul, mais c'est mon père qui m'a donné le goût d'explorer la haute montagne et la verticalité."

Marco Siffredi, Sylvain Saudan, Emile Allais, Vivian Bruchez… Ces noms ont tous été une grande influence pour les deux jeunes riders. Si Vivian a inspiré à travers ses films, il a aussi été le coach d'Aurélien pendant plusieurs années au Club d'Argentière. "C'est marrant parce que j'avais pas du tout notion de qui il était et ce qu'il faisait à l'époque. Vivian est une de mes inspirations premières dans ce que je fais aujourd'hui, et c'est surtout lui qui m'a inspiré à faire de la pente raide".
A 21 ans, après plusieurs titres nationaux et européens, Aurélien, bercé par les récits de montagne, a décidé de "lever un peu la tête et les yeux et d'explorer la montagne". C'est comme ça qu’il commence la pente raide, dans le couloir des Cosmiques. Depuis, il n'y est que peu retourné car il préfère les itinéraires étroits et techniques plutôt que les grandes pentes vierges propices au freeride. "En freeride je ne suis pas très concentré, alors qu'en pente raide, je me donne pleinement à ce que je fais".

"J'aime être suspendu à mes carres, au-dessus du vide, et devoir réfléchir à mon prochain virage". Aurélien Lardy
Au fil des années, les deux skieurs prennent assez confiance sur les skis et avec les piolets en main pour pouvoir rêver de lignes plus exposées. Quand Aurélien voit des images de Andreas Fransson sur la rampe Whillans-Cochrane en Patagonie, dans le massif du Fitz Roy, il n'en croit pas ses yeux. "C'est vraiment des vieilles images, mal filmées, avec une caméra toute pourrie. Mais tu devinais déjà cette rampe. Le gars partait tout seul, c'est ouf… Vivre ça dans sa vie c'est ultime, c'est le graal." Il ajoute même "je me souviens m'être dit que le jour où j'ai la chance de descendre ça, si un jour je m'en donne les moyens, j'aurai bouclé la boucle".
Des mots forts, qui résument bien la rampe Whillans-Cochrane : une pente de 300m suspendue au milieu de la montagne, à plus de 50°, cotée 5.5, E5, avec 1000 m de vide en dessous. En 3 mots ça donne : interdiction de tomber.

"Un des itinéraires les plus exposés de la Terre, comme il en existe nulle part ailleurs" selon les trois skieurs.
Jules et Aurélien se mettent donc au travail et fouillent partout pour trouver le plus d'informations possible sur cette rampe. Le massif du Fitz Roy est situé dans une région hostile, avec une météo changeante, où très peu de skieurs s'aventurent. Un endroit idéal où "presque tout reste à faire". "C'est un des plus beaux massifs du monde. C'est un grand massif granitique, qui se mérite ; il faut beaucoup marcher parce que c'est très sauvage. Il y a des couloirs partout, des descentes majeures et surtout très peu de skieurs qui y sont allés, ce qui fait qu'il a beaucoup de lignes à ouvrir" nous confie Jules.
"Le massif du Mont Blanc est très technique, il y a des pentes très raides, mais tu sais que tu as les secours pas loin, donc tu peux te permettre de ne pas compter que sur toi-même. Alors qu'en Patagonie, il n'y a que toi, donc si tu as un problème, t'es dans la m***e jusqu'au cou. Là-bas, on a une notion d'engagement total, c'est très beau. Tu retrouves tes sens, tu te connectes à la montagne, tu écoutes tout et regarde tout. Même au niveau du corps, du cerveau, des intuitions… tout se met en osmose et c'est très fort" selon Aurélien.

Big Wall Skiing "Whillans-Cochrane" 5.5 / E5 / 300m
Une fois sur place, Jules et Aurélien sont rejoint par Vivian qui profite de ses vacances en famille dans la région pour se joindre à eux. Après avoir affronté le mauvais temps, ils réussissent à ouvrir 7 nouvelles lignes, et en répéter une : la Whillans-Cochrane. "Vivian a fait beaucoup de choses dans le ski, c'est un des acteurs principaux qui a fait évoluer le sport. Si lui-même dis que c'est la ligne la plus extrême de la planète, la résonnance est cool. On a eu la chance de skier ça !" s'extasie Aurélien. Jules ne peut qu'être d'accord : "Quand on arrive en bas de cette descente on a vécu un truc fort entre nous trois, et ça resserre les liens. On est trop heureux donc rien que pour ça, ça a du sens de skier une ligne comme celle-là. Mais après, est-ce que c'est raisonnable ? Je sais pas".
Une descente plus exigeante mentalement que techniquement selon Aurélien, qui ne pouvait ignorer le vide sous ses skis. "C'est vraiment extrême, j'avais jamais vécu ça. Une pente raide, avec plus de 1000m de vide, c'est assez spécial - en fait l'homme n'a rien à faire ici, et encore moins avec des skis. Ce vide en dessous, c'est tellement pesant, tu veux pas faire ça tous les jours. Mais pourtant, tous les jours j'y pense."
Un challenge réussi haut la main, dans une région où l'escalade et l'alpinisme sont bien plus présents que le ski tant les montagnes sont verticales, mais où la communauté de la montagne a élu domicile. "Même si pour accéder aux montagnes il faut faire beaucoup de marche, on est pas si loin de la civilisation, c'est pas comme en Himalaya où il faut des semaines pour retrouver la ville" nous rappelle Jules. "Ce qui était marrant, c'est que le soir quand on rentrait, on allait au bar Le Fresco, et on avait la sensation de rentrer à la maison. Il y avait un gros contraste entre la journée, où on était en plein milieu du massif, on ne voyait personne et l'on devait être hyper vigilants et le soir où on était au bar et on se mettait des grandes pintes avec tout le monde en rediscutant de notre journée… On retrouvait un peu de Chamonix ».

«- Maintenant que tu as skié cette fameuse rampe Aurélien, tu trouves que tu as bouclé la boucle ?
- Pas du tout ! (rires) Ce qui est génial avec la montagne, c'est qu'au travers des voyages et des expériences, tu évolues. Tes envies changent, ta vision change, et les itinéraires qui me motivent aujourd'hui sont pas les même que ceux me motiveront dans 10 ans. Ce que j'aime avec la montagne et le ski, c'est être face à un tableau, et imaginer les tracés. »
Une vision à mi-chemin entre celle du sportif et celle de l’artiste, et c’est là tout le propos de Painting The Mountains, qu’on vous invite à (re)regarder ici sur notre chaine Youtube, le 9 février à 20h00.
